Sunday, December 01, 2013

Électrosensibilité: la science en terrain délicat

Publié le 02 décembre 2013 à 11h29 | Mis à jour le 02 décembre 2013 à 11h29

Électrosensibilité: la science en terrain délicat

Même si on ne sait pas comment les radiofréquences pourraient nous rendre... (Photo Thinkstock)
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Philippe Mercure
Même si on ne sait pas comment les radiofréquences pourraient nous rendre malades, il reste que des gens disent souffrir de leurs effets. Certains sont prêts à bouleverser leur vie pour échapper aux ondes, quitte à s'isoler dans des endroits où elles sont moins présentes.
Il est toujours délicat de juger de la souffrance d'autrui, et les scientifiques qui ont tenté de se pencher sur le sujet se retrouvent souvent au coeur de controverses.
« Les gens qui attribuent leurs symptômes aux radiofréquences considèrent souvent qu'elles sont ignorées ou ne sont pas prises au sérieux. Elles sont parfois incapables de trouver de l'aide médicale appropriée ou un autre type d'aide », souligne James Rubin, l'un des plus grands spécialistes de la question, qui est aussi chercheur en médecine psychologique au King's College de Londres.
M. Rubin fait preuve de compassion envers ceux qui disent souffrir des radiofréquences et affirme qu'ils ont des besoins médicaux réels. Il refuse toutefois le terme « électrosensible », qui n'est pas reconnu comme un diagnostic médical parce qu'il implique que les symptômes sont causés par les champs électromagnétiques.
Les scientifiques préfèrent l'expression « intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques ». Le mot « idiopathique » décrit une maladie « dont on ne connaît pas la cause ».
Plusieurs expériences ont été faites impliquant ceux qui se disent électrosensibles. En laboratoire, on les a exposés à des radiofréquences de toutes sortes d'intensité, en ne leur dévoilant pas à quel moment les champs étaient activés ou non.
Résultat : « Il n'y a aucune indication que les gens atteints d'intolérance peuvent détecter les champs magnétiques à des niveaux plus bas que les autres personnes », concluent James Rubin et ses collègues dans un résumé des connaissances sur le sujet.
On a aussi étudié des variables mesurables comme le pouls, la pression sanguine, la température de la peau, la transpiration ou la mémoire, sans rien détecter.
L'effet « nocebo »
On connaît tout de même une chose qui peut déclencher les symptômes d'électrosensibilité : le fait de penser aux radiofréquences. L'an dernier, les chercheurs Michael Witthöft et James Rubin ont montré que des participants qui avaient visionné un film décrivant les effets nocifs du WiFi rapportaient davantage de symptômes que les autres lorsqu'ils étaient exposés aux ondes émanant du WiFi.
Ces conclusions font dire à la très vaste majorité des chercheurs que l'électrosensibilité est en fait un effet nocebo (par opposition à l'effet placebo) : un effet psychosomatique négatif créé par le cerveau.
Cette hypothèse est renforcée par le fait que les symptômes rapportés par les électrosensibles sont très variables, allant des maux de tête aux vertiges en passant par les démangeaisons, les problèmes de concentration et les troubles du sommeil.
« Ça ne veut pas dire que ces gens font semblant ou ne ressentent pas de symptômes », insiste Thomas Gervais, professeur au département de génie physique à l'École polytechnique de Montréal qui s'intéresse au phénomène.
M. Gervais compare la condition au vertige. Ceux qui souffrent du mal des hauteurs ne sont pas physiquement plus sensibles que les autres à la gravité. Mais par un effet psychosomatique, ils éprouvent des malaises lorsqu'ils s'éloignent de la terre ferme. « Si on les oblige à travailler au sommet d'une tour de verre, ils vont se sentir mal pour vrai », dit M. Gervais.
L'Organisation mondiale de la santé reconnaît d'ailleurs l'existence des symptômes de ceux qui se disent électrosensibles, mais n'en attribue pas la cause aux ondes électromagnétiques. Son approche est pragmatique : elle recommande de traiter les symptômes sans chercher à en connaître la cause.

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